La psychologue Touré Djénéba est chargée de programme à la Fondation Djigui.

Les mutilations génitales féminines (MGF), communément appelées excisions, désignent l’ablation totale ou partielle des organes génitaux féminins extérieurs.

Psychologue de formation, chargée de programme d’éducation et famille à la Fondation Djigui, Touré Djeneba Marie Prisca livre à VoixVoiedefemme, les secrets de la persistance de ce fléau en Côte d’Ivoire.

La Fondation Djigui  forme et sensibilise contre les mutilations génitales depuis plusieurs années. Comment se fait la prise en charge des femmes excisées  au sein de votre ONG ?

La prise en charge est gratuite. C’est la réparation qui est payante. Et il faut noter que toutes les femmes excisées n’ont pas forcément des complications avec la sexualité. Ça dépend du degré de la blessure. Mais il y en a aussi qui souffrent.

Quand nous recevons une femme nous procédons à l’écoute qui dure une heure et la référons au médecin qui décide de la suite.

Certaines n’ont pas de blessures graves. Quand le médecin les reçoit, il fait juste des prescriptions. Nous avions un cas qui se plaignait d’infections récurrentes. La jeune dame avait aussi des chéloïdes (cicatrices épaisses après la guérison d’une blessure, ndlr). Je l’ai référé au médecin qui n’a pas jugé nécessaire de l’opérer. Il lui a juste donné un traitement.

En général, ce sont les femmes qui veulent se faire réparer qui viennent à la Fondation.

Combien de personnes avez-vous déjà pris en charge ?

A peu près six femmes. Mais j’ai écouté beaucoup d’autres femmes. Lorsque je participe à des conférences, elles m’approchent pour me faire part de leurs difficultés.

Vous parliez tantôt d’un coût de la chirurgie réparatrice. Peut-on en savoir davantage ?

Le médecin a fixé le coût de l’opération à 400 000 FCFA.  La jeune fille qui a bénéficié de la première intervention le voulait incessamment puisqu’elle était en vacances. Nous étions sur un projet qui devait démarrer peu de temps après. On lui a demandé d’attendre car les moyens faisaient défaut. Ses parents ont décidé de payer les frais et elle a été réparée. Une autre par contre est venue peu après elle, mais n’avait pas assez de moyens. Nous sommes intervenus et le médecin a réduit le coût de moitié.

Les gens ont tendance à dire que l’excision rime avec la religion musulmane. Qu’en pensez-vous ?

Certains se basent sur des hadiths, notamment des paroles du prophète pour soutenir cela. Il y a un hadith par exemple qui dit que le prophète a vu l’exciseuse et lui a demandé comment est-ce qu’elle le pratiquait. A cette époque, c’était l’infibulation (une mutilation génitale consistant en une suture de la majeure partie des grandes ou des petites lèvres de la vulve, ne laissant qu’une petite ouverture pour que l’urine et les menstruations puissent s’écouler, ndlr). Elle a expliqué qu’elle supprimait toute la partie avant de coudre. Le prophète lui a ensuite dit que cette manière de le faire était une grande souffrance pour la femme. Il lui a suggéré d’enlever juste la peau comme on le fait avec les hommes, de sorte à « rendre la femme plus heureuse et l’homme plus gaie au réveil ». Cela pour évoquer l’épanouissement sexuel.

Il y a un autre hadith qui dit que lorsque les deux parties sexuelles circoncises se croisent, il faut ensuite un bain, une ablution, donc pour eux, cela veut dire qu’on doit circoncis aussi bien les femmes que les hommes. Il y a un troisième… mais voilà à peu près deux hadiths qui font croire à des gens que l’excision est normale.

Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’on n’a pas entendu que le prophète Mohammed, Paix et Salut sur Lui, a pratiqué l’excision de ses filles. Au regard des conséquences, ce n’est pas nécessaire. Cela coûte la vie à des filles, et laisse parfois des marques à vie.  En plus, l’excision existait avant la venue du prophète qui l’a découvert. Il n’a pas demandé de faire ça de cette manière.

Les intentions premières de ceux qui la pratiquent, c’est de réduire le plaisir sexuel de la femme. Alors que si on s’en tient au hadith qui dit que si on coupe de cette manière-là, ça va augmenter le plaisir sexuel entre l’homme et la femme. Ceux qui font l’excision sont en porta faux avec le prophète. Notre imam dit qu’il pense que son prophète ne peut pas accepter qu’on excise les filles alors que cela leur fait du mal. Et nous sommes d’accord avec.

Sur le terrain, aucune exciseuse ne dit le nom de Dieu avant de commencer la pratique. Elles ont toutes confirmé que pour le faire, il faut pratiquer la sorcellerie. Elles viennent à l’excision par la force que leur donne  des génies.

Elles adorent des génies. Pour qu’elles arrêtent par exemple, il y a des sacrifices à faire. Alors qu’en islam c’est un seul Dieu qu’on adore. Elles ne sont plus dans la religion musulmane.

 « La poudre de clitoris vendue »

Nous avions appris que les pratiquants de ce fléau utilisent ces parties à d’autres fins. En savez-vous davantage ?

Une exciseuse de Danané m’a dit ceci : « Ma fille, c’est trop profond, c’est des choses lourdes ». Cela pour dire qu’elle ignore le fonctionnement. Elle ne sait pas. Elle m’a confié qu’elle ne coupe pas. Une fois sur les lieux, elle ne fait que prononcer le nom de la première fille qu’elle doit exciser, puis elle coupe un citron. Quand elle le fait, un clitoris tombe et disparait ensuite. Cette version m’a été attestée par une autre exciseuse.

J’ai été consultante pour une enquête nationale, une analyse situationnelle afin de produire un plan d’action national contre les MGF. Il est ressorti du rapport d’études que les gens utilisent les clitoris pour beaucoup de choses mystiques.

Un ex-gardien de camp d’excision est aussi passé aux aveux. Il a affirmé qu’il gagnait beaucoup de sous avec la vente de clitoris. Lui et ses acolytes les séchaient, les écrasaient pour en faire de la poudre dite de séduction.

Pour obtenir cette poudre ils doivent obligatoirement exciter la fille avant de le trancher. C’est au moment où elle atteint l’orgasme qu’on lui retire le clitoris. Selon ce qui m’a été raconté, le fait que naturellement, une femme excitée ne peut laisser un homme indifférent, et qu’on pratique la coupure à ce moment-là, cela donne de l’efficacité aux produits.

Ces produits sont très prisés. Certaines personnalités politiques, artistes, leaders communautaires s’en procurent pour augmenter leur influence.

Heureusement, cet homme qui vivait de ce commerce a changé. Il a été sensibilisé par leader religieux qui combat les exciseuses, et les démons.

Quelles nouvelles stratégies pour une élimination des MGF puisque malgré la lutte la pratique persiste ?

Nous travaillons en partenariat avec d’autres ONG et l’Etat. C’est-à-dire le comité de lutte contre les violences basées sur le genre. Il n’y a qu’un travail en synergie qui peut permettre de mettre fin à cela. Il nous a été demandé une étude pour sortir un plan en cour d’élaboration qui va tabler sur un certains nombres d’activités.

Comme les gens sont très attachés à leurs traditions, ils disent que la lutte contre les MGF empêche d’inculquer une bonne éducation à leur fille. Nous avons décidé de faire des activités alternatives pour remplacer les cérémonies d’excision.

Nous pensons les aider à faire toutes les activités qu’ils menaient pendant l’excision, mais sans la coupure. En étant suivit par l’État ou une ONG.

Nous avons un autre projet qui concerne les violences et l’autonomisation de la femme c’est un projet Suède qui a créé des espaces où on rassemble les filles. On leur apprend l’importance de l’autonomisation, on leur apprend les compétences de vie, la gestion de projet, leurs droits. En sortant de là, on peut considérer qu’elles ont atteint un niveau dans la vie et faire une fête pour elles afin que les gens ne sentent pas qu’ils ont perdu leur tradition.

Il y a également des échanges transgénérationnels entre jeunes et vieux. Les jeunes pourraient transmettre leurs aspirations, inquiétudes aux parents. Les parents aussi pourront transmettre leurs expériences pour qu’ils apprennent les uns des autres. Ils vont discuter des sujets clés qui intéressent leur communauté. Et on profitera pour sensibiliser sur les MGF.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez ?

En Côte d’Ivoire, nous avons le comité national de lutte contre les VBG qui prend également l’excision en compte. Il n’adresse pas de façon spécifique l’excision or il le faut.

Au Mali par exemple, il n’y a pas de loi, mais un programme national de lutte contre les MGF, au Burkina Faso aussi. Il y a un organisme créé spécifiquement pour cela par l’état.

Malgré la baisse des chiffres en ce moment, 44% en 1994, 38% en 2006, aujourd’hui on est à 36%, la pratique continue toujours. En 2020, l’imam était à Odienné lorsque les gens avaient programmé l’excision de 18 filles dans un village. Tout le village était informé, mais le patron n’a pas pu réagir à temps. C’était trop tard. Il y a plusieurs cas qui arrivent mais on apprend trop tard.

L’autre difficulté, c’est qu’aujourd’hui la pratique se fait de plus en plus sur les bébés, dans la clandestinité. Alors qu’elle était pratiquée sur des adolescentes autrefois. Entre 14 et 18 ans.

Lorsque j’ai réalisé mes études, sur 100% des femmes interrogées 288 femmes ont été excisées et plus de 50% de ces femmes avaient déjà excisé leurs filles avant l’âge de 10 ans. L’âge revient à la baisse.

70% de cas au Nord-Ouest

Comment était-elle pratiquée autrefois ?

Avant, la pratique était toute une organisation qui durait 3 mois. On l’a faisait pendant l’harmattan et cela se préparait vraiment.  A Séguéla. C’était le moment qui rassemblait tout le monde. Pendant ce temps, il y avait de la fête, à boire, à manger, des invités…

En fait,  à l’époque on attendait qu’il y ait plusieurs filles à exciser en même temps. A 14 ans, 15 ans quand elles ont leurs premières règles. Tout le village attendait vraiment ce moment fort de l’année.

C’était une période de gaspillage. Les villageois travaillaient dur pour cela. Les parents sortaient toutes les cotisations. Après c’était la galère. Certains donnaient leur bien en gage pour pouvoir assurer. 

C’était la traite aussi pour les exciseuses qui allaient de village en village. Elles pouvaient réaliser 30 excisions dans un village. Ainsi de suite. On leur offrait des sacs, de l’argent, de l’huile… elles étaient les femmes les mieux vues. Une exciseuse m’a indiqué qu’elle percevait au moins 5000 FCFA par fille. Elles étaient les plus riches, des femmes de valeurs, considérées dans la communauté. Elles sont les dépositaires de la tradition du village. Seul le fils de l’exciseuse avait l’opportunité de porter le masque le plus grand du village. Aucun autre ne le pouvait. Elle était même au-dessus du chef. Elles sont plus en contact avec les esprits.  Elles disent qu’elles étaient traitées comme des présidents quand elles arrivaient dans une localité.

Aussi, l’exciseuse de Danané m’a confié qu’elle profitait de cette période pour faire un lavage de cerveau aux filles. « Un détournement de cœur », avait-elle dit. On éduquait les filles en leur demandant de respecter leur mari, leur parent, on prônait la fidélité. Du coup on faisait croire que la fille excisée devient meilleure. Pourtant, c’est grâce à la formation faite avant la pratique qu’elle ne peut jamais être infidèle par exemple.

 Le jour de l’excision est un jour de vérité.  Ce jour-là, on saura si la fille est bien éduquée, vierge ou non. Les gens pensaient que c’était l’excision qui rendait vierge, pourtant les parents maintenaient leurs filles ainsi pour ne pas avoir honte le jour-j.  Il y avait trop de fausses informations à ce stade. Quand par exemple l’une d’entre elle venait à mourir, ou saignait abondamment, on faisait croire que c’est parce qu’elle avait connu « garçon » avant, ou  que sa maman avait commis un péché.

Pendant que les jeunes filles fréquentaient ce camps, à Danané, les garçons les guettaient, ils rodaient autour. Dès la fin de la pratique, chaque homme volait sa fiancée, et l’amenait vivre avec lui.  Ensuite les parents venaient demander la main.

C’est ce qui leur fait mal, ils pensent avoir perdu des valeurs avec la lutte contre les MGF. Ils disent qu’ils n’arrivent plus à inculquer des valeurs aux filles. Et que ces grands moments de réconciliation, de retrouvailles, de solidarité qu’ils avaient autrefois sont gâchés. C’est cela leur plus grand regret.

Aujourd’hui, nous apprenons que la pratique continue même à Abidjan…

Nous sommes souvent contactés par des gens qui vivent en Europe pour des cas à Abidjan.  Souvent ils sont avérés et parfois non. On se rend compte qu’ils ont besoin d’avoir des papiers pour migrer vers l’extérieur.  Ils disent qu’ils ont fui le pays à cause de l’excision. Mais il y a des cas où c’est vérifié. Une année, des enfants étaient venus en vacances des Etats-Unis pour se faire exciser. Dès que j’ai eu l’information, j’ai appelé l’imam qui est intervenu et les américains les ont immédiatement ramenés.

Sinon nous sommes beaucoup plus portés sur le Nord en matière d’intervention car aujourd’hui les statistiques disponibles révèlent 70% au Nord-Ouest, à l’Ouest entre 50 et 60%, au centre nord 50%,  au centre 18% et Abidjan 24%.

Interview réalisée par Marina Kouakou

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