Publié le 14 décembre, 2021

Je me présente en face de Sonia H. une élève de terminale, après une harassante et longue discussion, nous trouvons un accord pour passer la nuit ensemble. Après l’avoir rassurée de ma bonne foi et de mon « amour » pour elle, elle finit par se dévoiler petit-à-petit dans l’ambiance d’un maquis à Blokauss où je lui demande de prendre un pot. « Mes parents ne peuvent plus s’occuper de mes frères et moi, et ma mère est malade. C’est pourquoi je fais ça pour avoir de quoi à payer mes cours et payer les médicaments de ma maman », raconte-t-elle pour trouver une raison morale à son activité…

Il n’en fallait pas plus pour enclencher une discussion bien nourrie. A ma question de savoir si elle ne pouvait pas faire autre chose que la prostitution, elle me répondit qu’elle ne pouvait pas faire autre chose que le plus vieux métier qui lui donne plus de temps et moins d’efforts. « Je suis élève, c’est ce que je peux faire pour avoir vite de l’argent et continuer en même temps mes cours pendant la journée », prétend Sonia. Combien gagne-t-elle ? « Parfois 20 000 F ou 30 000 F. Mais quand ça marche, je peux m’en sortir avec plus que ça », rapporte-t-elle. Dans cette activité, chacune à son histoire ou du moins chaque fille y vient pour un objectif bien précis.

Akissi A., sans emploi, nous explique qu’elle s’y est trouvée parce qu’elle a pour ambition de faire un restaurant. Pour cela, cette fille de 13 ans à peine vend son corps depuis deux ans pour de l’argent. Va-t-elle pouvoir arrêter ? « Oui, bientôt je vais mettre fin à cette activité qui n’honore pas », confie-t-elle avant d’ajouter ceci : « j’ai pu économiser quelque chose, je veux simplement compléter pour être sûre de ne pas à revenir ici ». Comme Akissi A., de nombreuses adolescentes se jettent à l’eau pour plusieurs raisons. Les unes veulent réaliser un projet, d’autres pour se faire simplement de l’argent. Le gain facile.

Beaucoup de ces mineur(e)s sont en situation de rupture familiale. Une grosse proportion souffre de carences affectives et/ou éducatives liées à des contextes familiaux dysfonctionnels. Les parcours de vie se traduisent dans une proportion non négligeable de cas (26%) par des situations de rupture (fugues, placements en foyer…). Le décrochage scolaire, de même que le rapport conflictuel et difficile avec l’école et la faible estime de soi sont également signalés. Entre 40% et 49% des mineur(e)s disent avoir subi des violences pendant leur enfance, principalement intrafamiliales et/ou sexuelles avant d’entrer dans le système prostitutionnel.

Causes ?

Deux causes expliquent cela.  Des causes sociologiques, et psychologiques. Parmi les causes sociologiques il y a l’idée d’un argent facile (pas forcément lié à une précarité familiale puisqu’aujourd’hui, des adolescentes de tous les milieux se prostituent). Il y a l’existence des réseaux qui permet de passer facilement, et presque magiquement, de l’idée à sa réalisation. Et il y a surtout l’inflation de la pornographie qui donne aux adolescents l’idée que la sexualité se résumerait à une série de pratiques que l’on pourrait apprendre et reproduire, comme n’importe quelle gymnastique, sans en être le moins du monde, affecté.       

Quand on écoute des femmes, jeunes ou non, qui se prostituent, on se rend compte que l’argent qu’elles cherchent est souvent une tentative inconsciente de compenser le fait qu’elles pensent n’avoir, en elles-mêmes, aucune valeur. Et c’est toujours lié à leur histoire. Certaines ont été, enfants, utilisées sexuellement, comme des objets, par des adultes. D’autres, même sans agression, n’ont jamais été respectées ni dans leurs familles, ni ailleurs.

Conséquences ?

Les conséquences sont toujours très lourdes pour ces jeunes filles, d’autant qu’elles sont à un âge qui devrait être celui de la construction de leur sexualité adulte. Se prostituer à 14 ans, même en croyant le faire volontairement, c’est se voler à soi- même, sans le savoir, la construction de ce rapport si fragile, si particulier à chacun, et si important entre le corps et les émotions. Et la question se pose de savoir si c’est rattrapable, et comment ?

Djolou Chloé

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