Dr Tizié Bi Koffi est le conservateur du MNC depuis 2010.

Publié le 2 juin, 2020

Au terme de notre reportage au Musée national du Costume de Grand-Bassam, le conservateur de l’institution, Dr Tizié Bi Koffi, fait un tour d’horizon sur le fonctionnement de ce patrimoine dont il a la charge depuis 2010.

Pouvez-vous présenter le Musée national du Costume de Grand-Bassam ?

Le Musée national du Costume de Grand-Bassam a vu le jour le 30 avril 1981. Il se trouve dans un bâtiment d’histoire. Ce bâtiment était en son temps, le palais du gouverneur. Beaucoup de gouverneurs sont passés là, dont le plus connu est Gustave Binger. Ce musée se charge de la conservation du costume traditionnel et moderne.

Ce projet est une initiative du grand homme de Culture, écrivain et même politique, Bernard Binlin Dadié. Parlant de cet homme, je ne dirai pas feu Bernard Binlin Dadié. Parce que quand on parle de Victor Hugo, ou de Karl Marx, on n’a jamais dit, feu tel ou tel. Je ne sais pas pourquoi ici chez nous, on le dit. Un homme de culture de la dimension de Bernard Binlin Dadié vit toujours par son œuvre. 

Mais il n’y a pas que le Costume dans ce bâtiment. Au départ Bernard Binlin Dadié voulait en faire un musée du Costume et des Bâtiments. Finalement c’est le costume qui l’a emporté. Mais ça n’a pas empêché qu’on y mette les maquettes d’habitat traditionnel, tel que nous nous organisions dans nos espaces, aux villages. Il y a également des photos iconographiques et, bien entendu, des photos du temps colonial, avec des colons tels qu’ils ont pu gérer notre espace. Tout y est retracé. Le Musée national du costume est un musée de civilisation qui essaye de retracer l’histoire par nos costumes, l’histoire coloniale, l’histoire d’occupation d’espace.

A Abidjan on parle du musée des civilisations. Ici à Grand Bassam, on parle de Musée du Costume ? Que faut-il entendre par Costume ?

Le Costume, c’est en fait le mode d’habillement d’une société ; chaque société a sa manière de s’habiller, de concevoir ses costumes. Chez les Akan, on vous parlera de Kita en Côte d’Ivoire, ou de Kinté au Ghana. Chez les Gouro on parlera de Kamandjè… Et ces costumes sont plein d’histoires. A la limite ce sont des écritures.

Dr Tizié Bi Koffi rend hommage à Bernard Blin Dadié, l’initiateur du musée du Costume.

Des écritures, vous dites ? Pourtant il est de notoriété que nos peuples n’avaient pas l’écriture, mais plutôt l’oralité…

Oui, je pèse mes mots. Je parle de l’écriture. Par exemple, un roi ou un chef ne parle pas au hasard. Vous verrez qu’à une assemblée, le chef ne parle pas, mais il s’exprime à travers son costume. Le costume qu’il porte selon les circonstances (s’il est content, il porte un costume qui traduit cela, s’il n’est pas content de son peuple et qu’il veut passer un message dans ce sens, il s’habille en fonction). Ceux qui savent lire interprètent généralement cela. Et il y a beaucoup d’autres sens, par la couleur, les symboles qui parlent.

Grand-Bassam est une ville chargée d’histoire. Elle a d’ailleurs été classée patrimoine de l’Unesco en 2012. Y a-t-il des symboles au sein du musée qui expriment par exemple la marche des femmes à Grand-Bassam de 1949 ?

Grand-Bassam est un tout. Le musée est installé au Quartier France, aujourd’hui Ville historique. Et pour avoir accès au Quartier France, il faut traverser le Pont de la Victoire. Avant même d’arriver à ce pont vous verrez au niveau du rond-point, les statues de ces trois femmes en question. Cela symbolise la marche historique dont vous parlez. Le pont baptisé Pont de la Victoire matérialise bien cette marche.

Le bâtiment érigé en musée était occupé par les colons oppresseurs. En y installant le musée du costume, c’est l’expression de notre victoire contre ces forces de répression de l’époque coloniale. C’est pourquoi nous disons que le Musée national du costume, renferme deux musées en un. D’abord le bâtiment lui-même est un musée, un grand symbole d’oppression, parce que celui qui l’habitait, le gouverneur, était le donneur d’ordre pour opprimer.

Ensuite, à l’intérieur, les mannequins sont habillés en tenues traditionnelles. C’est de cette façon que les femmes-là étaient habillées, quand elles menaient ce combat contre la colonisation.

Cela fait 40 ans que ce Musée est créé. Pouvez-vous expliquer les étapes d’évolutions de cette institution jusqu’à ce jour ?

Quand Bernard Dadié a pris l’initiative de le créer, c’était d’abord un Service qui était rattaché à la Direction de la conservation et de la valorisation du patrimoine culturel, aujourd’hui, Direction du Patrimoine culturel. A une étape de sa vie, il est devenu une Sous-direction, puis une Direction régionale. Et depuis 2014, c’est devenu une Direction centrale. On a d’abord parlé du Musée des Costumes de Grand-Bassam, mais aujourd’hui, on l’appelle Musée national du costume (MNC).

Quel est le niveau de fréquentation de ce musée ?

Avant les gens, notamment, les Ivoiriens pensaient qu’ils n’ont rien à apprendre dans un musée. Parce que nous pensons que nous savons déjà ce qui s’y trouve. Mais au fur et à mesure, les gens commencent à comprendre l’importance des musées. Il y a tellement de choses à y apprendre…

Savez-vous par exemple pourquoi la reine-mère dans une royauté ne doit pas être la femme du roi ? Elle doit être de la lignée du roi. Parce qu’on a beau former le couple, un jour on peut se séparer. Ce n’est pas souhaitable mais ça peut arriver. Mais cela ne peut jamais arriver quand vous êtes unis par le lien de sang. C’est pourquoi on dit que le lien parental est une ficelle qui ne peut jamais se couper. La cousine, la sœur reste toujours dans la famille quelles que soient les frictions et les incompréhensions. L’objectif étant de garder et préserver les secrets du royaume.  C’est au musée qu’on apprend ces choses pareilles. Quand on décrypte tout le message que renferme le costume on se rend compte que la visite d’un musée est plutôt un enseignement…

Comme d’aucuns pensaient que le musée ne renfermait que ce qu’ils voient tous les jours, ça n’intéressait personne. Mais depuis que les gens ont commencé à faire une autre lecture du musée, et surtout quand la Ville historique de Grand Bassam a été inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, en 2012, les Ivoiriens dominent dans les rangs des visiteurs du musée. 

En plus des Ivoiriens, quelles nationalités dominent dans vos visites ?

Nous avons, comme je l’ai dit, en première position les Ivoiriens, ensuite les Européens, les Américains puis les Asiatiques. Nous enregistrions, avant la crise sanitaire 80 visiteurs en moyenne par jour et 800 personnes dans la semaine.

Tous les âges ?

Evidemment. Mais vous savez que nous devons enseigner notre culture à nos descendants. Il faut qu’ils aient la culture de notre société. Nous avons mis en place une politique pour attirer beaucoup plus d’élèves. Nous allons vers les écoles. Mais quand je parle de 80 visiteurs par jour, il faut dire que pendant les week-ends ou certains jours de la semaine, notamment les mercredis, samedis, et dimanches, nous enregistrons entre 500 et 600 élèves. Le 4 avril dernier une école était programmée pour une visite du musée avec 300 élèves. Malheureusement avec la situation, le musée a fermé.

Et pour répondre à votre question, il faut dire que nous enregistrons des populations de tous âges. Notamment dans les écoles, les collèges et les écoles supérieures. Il y a également des entreprises qui font venir leurs travailleurs pour des visites.

Quelles sont les conditions d’accès au musée ?

Les élèves et enfants payent 200 F CFA, quand les adultes, eux, payent 1000 F CFA pour la visite

Ce sont les mêmes montants pour les autres nationalités ?

En culture, il ne faut pas faire de la discrimination. Avant on faisait des prix selon la nationalité. Mais nous avons, au nom de l’égalité que nous prônons dans nos sociétés, et de l’absence des frontières entre les peuples, nous pratiquons les mêmes montants pour tous. Ne sommes-nous pas dans un village planétaire ? Nous sommes tout et un à la fois. Dans le domaine culturel, il n’y a pas de protocole. Par conséquent, nous ne faisons pas de discriminations dans la pratique de nos tarifs de visite.

Justement, le musée est fermé, comme tous les autres. On estime que c’est un coup dur pour vous…

Tout à fait. Mais, comme vous le savez, nous sommes une institution étatique. Par conséquent, l’Etat subventionne le musée. Mais c’est au niveau des ressources additionnelles que nous ressentons la crise. En effet, en plus des droits d’entrées pour les visites, nous sommes autorisés à délivrer des fiches d’exportation d’objet d’art. Cela parce que nous sommes appelés à protéger notre patrimoine dans tous les compartiments.

Nous avons un droit de regard sur tout ce qui doit sortir du pays. Parce qu’il y a des objets qui ne doivent pas sortir du pays. C’est le cas de l’ivoire, de certains bois qu’on ne doit pas exploiter. C’est pourquoi nous veillons à vérifier le matériau de fabrication de tous les objets d’art destinés à sortir du pays. Ces documents que nous délivrions avant la crise rapporte un peu de devises au musée. Vous avez également vu les artisans qui sont obligés de fermer. Ils louent l’espace pour exposer leurs objets. A cause de la situation, ils ne peuvent plus faire face à ces charges.

Comme la subvention de l’Etat n’est pas suffisante, nous utilisions ces ressources additionnelles pour faire face aux difficultés que nous rencontrons ici dans la gestion du musée.

Quelles sont ces difficultés ?

Le musée national du costume se trouve dans un environnement difficile, du fait de la proximité avec la mer. Or les sels marins agissent négativement sur les objets. Le vent marin renferme des grains de sel. Et quand ces grains tombent sur le tissu, le bois ou même nos équipements informatiques pendant une période humide, cela conduit à leur détérioration. Tout ceci pour vous dire que le problème de conservation du musée de Grand- Bassam se pose avec acuité. On a donc besoin de plus de moyens pour remédier à ces problèmes. Comme je vous l’ai dit, l’Etat fait des efforts pour nous accompagner et les quelques ressources additionnelles qui nous aidaient sont coupées depuis le 17 mars quand le musée a fermé.

« Les objets d’arts expropriés seront rapatriés »

D’où vous viennent ces objets que vous conservez dans ce musée ?

Le musée, c’est un bien commun. Nous avons quatre modes d’acquisition de nos biens : le don, l’achat, le leg et le prêt. Nous privilégions le don. Si quelqu’un ou une famille a son patrimoine vestimentaire, il vaut mieux venir donner au musée pour sa bonne conservation dans l’intérêt du donateur et celui de l’humanité entière. Nous avons aujourd’hui des costumes qui disparaissent. On ne les connait que de nom.

S’agissant du prêt, à tout moment, l’intéressé peut venir chercher son bien. Il y a toujours un contrat qui lie les personnes et le musée. Que la population vienne déposer son bien pour une bonne conservation.

Il y a six mois, la France avait annoncé la restitution des objets d’arts africains pillés pendant la colonisation. Qu’en est-il de ce projet ?

Tous les hommes de cultures sont impliqués dans ce processus de restitution, même vous, journalistes. Ces biens pris de force vont revenir. Ce sont des biens qui nous appartiennent à nous tous.

Evidemment ce projet date de longtemps. Depuis 1998 ce projet avait été déjà lancé. Mais chaque pays à ses réalités. La Côte d’Ivoire souhaite qu’on reconnaisse que tel objet appartient à un tel peuple dans un premier temps. Ce travail technique est en cours.

Le gouvernement avait pourtant annoncé environ plusieurs dizaines de ces objets destinés à la Côte d’Ivoire ?

Comme je le dis, il y a un travail technique à faire. Il est amorcé. Actuellement, nous parlons de l’Eco ( la monnaie qui remplace le F CFA), mais ce n’est pas dans l’immédiat que le FCFA va disparaitre. Dans le cas des objets d’arts à restituer, il est vrai qu’un travail est en train d’être fait, mais dans un premier temps nous voulons une mission où on aura à répertorier les objets par un travail d’inventaire systématique. Quelquefois, on dit c’est l’objet qui vient de l’Afrique de l’Ouest ou c’est l’objet qui vient de la Côte d’Ivoire. Mais nous voulons savoir à quel peuple, à quelle famille tel ou tel objet appartient. Parce que c’est ça notre travail. Il est important de connaitre l’origine de chacun des objets de notre patrimoine. Il y a ce travail à faire. Mais soyez rassuré, tous nos objets nous seront restitués un jour.

Réalisée par Ténin Bè Ousmane

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