Publié le 11 avril, 2022

S’il y a un problème qui trouble actuellement le sommeil des autorités municipales, c’est bien celui des ordures ménagères. Des dépotoirs d’ordures existent dans la plupart des quartiers, faute de personnel d’hygiène pour le ramassage. Les tas d’immondice s’accumulent pour se transformer en une poubelle géante. Qui en est responsable ? Que fait la mairie ? Réponse dans ce dossier.

Au quartier ‘’Garage Koffi’’, à proximité du futur centre culturel, ici les riverains ont fini par s’accommoder à cette nouvelle vie qui s’impose à eux. « Que voulez vous qu’on fasse ? Les ordures ne sont pas ramassées. On ne peut pas non plus les garder chez nous à la maison. La seule alternative qui nous reste c’est de vider nos poubelles à cet endroit », nous informe Brou Nicole, ménagère dans le quartier.

Situé en bordure de la route, ce dépotoir est bien visible. « Lorsque la quantité devient importante, les riverains y mettent le feu. La fumée épaisse couvre alors tout le quartier, rendant la respiration difficile », informe Gnaly Jean Marc, agent de santé communautaire qui prévient que respirer une telle fumée peut provoquer certaines maladies comme la toux, le rhume et surtout aggraver le cas de ceux qui souffrent de l’asthme. Il conseille aux mères qui allaitent encore leurs bébés de ne pas exposer les nourrissons à cette fumée là, parce qu’ils sont fragiles.

Saint George, Dioulabougou, Zapata, ces quartiers vivent la même situation. Des dépôts d’ordures sont un peu partout. Parfois, ce sont les caniveaux qui reçoivent ces déchets en provenance des ménages. « Déverser les poubelles dans les caniveaux, c’est faire preuve d’incivisme », a lancé Serge Gbagbo. Le président du conseil des jeunes de Gagnoa (Cjga), a fait le constat selon lequel, les jeunes ont leur part de responsabilité dans le visage que présente la ville. D’où l’intérêt de sensibiliser ses pairs sur la nécessité d’avoir une cité saine et propre. Cela s’est traduit par un atelier de formation sur ‘’l’incivisme’’.  

« Ce fléau prend de plus en plus de l’ampleur dans les couches sociales défavorisées. Pourtant, une nation qui aspire au développement doit tuer en elle les germes de l’incivisme », a conseillé le commissaire divisionnaire Sémou Jean Camus.

La colère des commerçants

Cet incivisme se traduit bien entendu, par les ordures ménagères sur les marchés. Le cas le plus flagrant reste incontestablement celui du grand marché. « Nous travaillons dans une précarité qui ne dit pas son nom. Nous travaillons dans la saleté. Le marché est insalubre », se plaint Diallo Alpha Telly, président de la fédération nationale des acteurs de commerce de Cote d’Ivoire (Fenac-ci), section Gagnoa. L’opérateur économique regrette la vieille époque où le service d’hygiène de la mairie entretenait au quotidien l’ensemble des marchés de la ville. « En son temps, il y avait un service de nettoyage du marché. Aujourd’hui le marché n’est pas nettoyé. Ce n’est pas normal », tape-t-il du point sur la table. Mais à en croire le premier responsable des commerçants, la structure qu’il dirige ne s’avoue pas impuissante face à la problématique de la gestion des ordures qui jonchent le marché. « Notre action c’est de sensibiliser nos autorités communales afin de nous débarrasser du dépôt sauvage d’ordures situé au cœur du marché de Gagnoa », a fait savoir Diallo Alpha Telly. Ce dépôt d’ordures auquel il fait allusion a été créé sur les cendres du même marché qui est parti en fumé dans la nuit du 25 au 26 octobre 2008. Jusque là, la reconstruction dudit marché n’est pas encore faite, même s’il est de plus en plus question du démarrage desdits travaux prévus pour le mois de Juillet prochain, a-t-on appris de source municipale. La nature ayant horreur du vide, le site détruit a été recolonisé par les ordures. Devenant ainsi, la principale poubelle du marché.

Dès 18h, les jeunes pré-collecteurs dont l’âge varie entre 15 et 20 ans font le tour des étales pour rassembler les ordures des commerçants et commerçantes. Ils les mettent dans leurs brouettes. Direction, la grande poubelle du marché où ils déversent le contenu de leurs engins. « Avec ma brouette je prends les ordures des commerçants dans le marché. On me paye en fonction de la quantité des ordures. 100f, 200f ou 300f par ramassage. C’est une activité qui me permet de me faire un peu d’argent de poche », rapporte le jeune Sanogo Ousmane, ramasseur de poubelles. Il ne va pas loin pour s’en débarrasser. « C’est dans le centre du marché, où tout le monde verse les ordures que je vais déposer la charge de ma brouette », nous explique le garçonnet. Ils sont plusieurs de son âge à mener cette activité qui n’est pas toujours du goût des vendeurs situés non loin de cette poubelle.

Poubelle à ciel ouvert

Les commerçants se plaignent des odeurs suffocantes qu’ils sont obligés de respirer à longueur de journée et de la rareté de la clientèle, pour cause d’incommodité. « Ce dépôt sauvage d’ordure impacte négativement nos chiffres d’affaires. Très peu de clients viennent visiter nos étales. Préférant faire leurs achats ailleurs », se désole cette vendeuse de produits cosmétiques. « Tous les jours, nous nous plaignons de la situation, mais rien ne change. Au début, il y avait des camions pour ramasser la poubelle. Mais depuis un certain temps, ces camions ont disparu », signale la vendeuse. Pis, il existe des lieux de restauration dans les rayons de ce dépotoir. Des clients, malgré cette odeur, ne se gênent pas de prendre rendez-vous, chaque midi avec les restauratrices du lieu. « On dit ventre affamé n’a point d’oreille. Moi je dis ventre affamé n’a point d’odorat », plaisante un gourmet assis devant son plat de riz accompagné de la sauce graine.

Le président des commerçants fait de l’hygiène du marché, une priorité. Il a mené des démarches auprès de l’hôtel de ville. « Le commerçant qui paie ses taxes, a droit à un minimum de service que la mairie doit lui rendre, en ramassant les ordures dans le marché. Le maire nous a expliqué que les engins affectés au ramassage des ordures sont hors d’usage. C’est aussi cela la réalité », mentionne Diallo. « Nous savons combien de fois la mairie a des problèmes. Ensemble avec la mairie, nous devons trouver la solution. Non pas pour le grand marché de Gagnoa uniquement, mais pour tous les marchés de la ville qui sont aussi confrontés au problème d’ordure » a ajouté notre interlocuteur. A voir de près, l’insalubrité est une question qui touche aux droits de l’homme. « C’est en cela que nous, acteurs des droits de l’homme devons intervenir pour demander aux autorités de prendre leurs responsabilités. Afin que les populations aient le minimum pour une vie décente », a commenté Diarrassouba Moussa, le président régional de la Commission nationale des droits de l’homme (Cndh). Le défenseur des droits de l’homme note qu’il revient aux décideurs de tout mettre en œuvre pour que chaque individu ne soit pas lésé dans ses droits. « Vivre dans un environnement sain fait aussi parti des droits que le pouvoir doit garantir aux citoyens », a-t-il rappelé. Le seul moyen de coercition dont dispose la Cndhci, pour amener les pouvoirs publics à créer un cadre de vie meilleur aux populations, est la sensibilisation. Face à tout ce qui se dit sur l’insalubrité dans sa cité, le député maire de Gagnoa, Yssouf Diabaté a reconnu la complexité du problème.

Réaction du maire

« C’est compliqué, vraiment compliqué », a-t-il lâché avant de pointer un doigt accusateur sur l’Agence nationale de salubrité urbaine (Anasur). « Dans le temps, quand il y avait les prélèvements sur les populations, ont reversait directement l’argent à la commune pour lui permettre de trouver les engins et ramasser les ordures. Aujourd’hui, l’Anasur est la structure qui est chargée d’assainir les villes. Malheureusement, elle est basée à Abidjan où elle exerce essentiellement », renseigne l’élu. Il note que rares sont les villes de l’intérieur du pays qui bénéficient des prestations de cette agence. Chaque commune doit donc trouver la solution pour gérer les ordures que produisent ses populations. « En 2019 nous avons reçu deux tracteurs et des tricycles. Jusque là nous n’avons reçu aucun autre équipement. Nous sommes obligés de nous débrouiller comme nous pouvons. On puise l’argent dans les caisses de la mairie pour ramasser les ordures. On fait mains et pieds mais c’est vraiment difficile », s’indigne le maire.

La mairie de Gagnoa dispose dans son parc auto, d’une chargeuse et de deux camions bennes pour le ramassage des ordures. Mais la réalité sur le terrain est que les ordures sont ramassées rarement. Au point d’aiguiser la colère des populations qui gardent leur sang-froid malgré tout. « Je dis merci aux populations de Gagnoa qui comprennent les efforts que nous faisons pour dégager les ordures. D’autres villes n’ont pas les mêmes chances que moi. Ailleurs, les populations, mécontentes, ont déversé les ordures devant les mairies. Je voudrais rassurer les populations de rester calme. On a mal de voir notre cité dans cet état. Véritablement nous sommes à bout de souffle, mais dans les mois à venir, on fera tout pour embellir la cité. Pour cela, nous comptons dégager un budget pour assainir la ville », a promis le député maire.

« C’est un cri de cœur que nous lançons. L’Uvicoci demande à rencontrer le président de la République pour lui faire part de cette difficulté majeure. La gestion des ordures est le lot quotidien de l’ensemble des maires de Côte d’Ivoire », a plaidé le maire.

Alain Doua

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