Publié le 19 avril, 2021

Pédiatre depuis l’année 2008, Dr Joseph Ouattara, en fonction au CHU de Treichville est le responsable de l’unité de prise en charge des nouveau nés au CHU de Treichville. Dans cette deux et dernière partie de l’interview qu’il a accordée à VoixVoie de Femme, il relève les difficultés dans la prise en charges des enfants en situations de carence en oxygène.

Quelle analyse faite vous de l’équipement en oxygène dans les centres de santé ?

Dire qu’un centre de santé est suffisamment équipé, c’est un euphémisme. Nos besoins sont énormes. C’est vrai que nous sommes dans un centre de santé de niveau 3, mais nous sommes loin des standards internationaux. Il y a encore beaucoup à apporter. Nous avons un minimum de matériel, je dis bien un minimum, mais nous avons besoin des infrastructures de qualité pour mieux prendre en charge nos patients. Ce qu’il faut savoir aussi dans la prise en charge des patients, il est important de consulter le plus tôt possible, j’insiste là-dessus. Nous recevons beaucoup de cas à un stade terminale, face à ces cas, nous ne pouvons pas faire grand-chose. Les pays développés ont un taux de réussite satisfaisant parce que les consultations se déroulent assez rapidement. Les patients consultent très vite, très tôt quand les pathologies démarrent. Ce n’est pas le cas chez nous. On a d’abord recours aux traitements de la grand-mère, du tradipraticien, et c’est quand ça ne va pas qu’on se rend à l’hôpital. Il est souvent trop tard. Quand les parents arrivent à cette période, ils sont exigeants et souvent les résultats ne sont pas concluants. Et même les adultes, il ne faut pas attendre que la personne soit alitée avant de l’envoyer à l’hôpital.

Quelles est la tranche d’âge la plus touchée ?

Les enfants les plus touchés sont les moins de 5 ans. Ils représentent les trois quarts des enfants que nous recevons chez nous parce qu’ils sont les êtres les plus fragiles, ils sont aux stades d’adaptations physiologiques. Ils jouent un peu partout, ils sont insouciants, ils rencontrent beaucoup de germes. Contre certains germes ils réagissent bien, contres d’autres, ils ne réagissent pas bien, ainsi de suite. C’est lié à leur constituant essentiel.

Quels sont les difficultés que vous rencontrés ?

Les difficultés sont d’autres financières. La santé a un coût et souvent, nous sommes en face des parents moins nantis. Tout est lié. En général, les parents qui ont un niveau socio-économique relativement élevé vont très tôt avec leurs enfants à l’hôpital. Mais ceux qui n’ont pas de ressources financières assez importantes ne vont pas très tôt. Et c’est au stade de gravité qu’ils arrivent à l’hôpital. Donc il y a des problèmes financiers, et de disponibilité de certains médicaments dans nos structures.  Les parents doivent aller payer les médicaments eux-mêmes pour la prise en charge. Les médicaments ne sont pas disponibles, donc s’ils n’ont pas de ressources financières pour les médicaments, la prise en charge reste bloquée.

Comment faites-vous face à ces difficultés ?

Par moment, nous mettons la main à la poche, mais nous préférons garder le silence. On essaie de voir souvent des ONG qui nous donnent des médicaments gratuits qu’on utilise pour les indigents. Il faut savoir que les médicaments ne sont pas à la disposition des médecins donc quand un patient arrive, il doit se rendre à la pharmacie pour en acheter. Et ces médicaments ne sont pas gérés par les médecins donc il y a toujours des pharmaciens dans les structures. Ces pharmaciens doivent rendent comptent. S’ils donnent les médicaments gratuitement eux-mêmes, ils vont le payer de leur poche. Et souvent ils ne sont pas en contact avec les malades. Ils sont juste à la pharmacie et c’est le patient ou le médecin qui s’y rend pour en prendre. C’est ça la réalité du terrain. Il faut savoir comment les structures fonctionnent.

C’est vrai que souvent sur les réseaux sociaux les médecins sont tout le temps attaqués. On nous traite d’insensibles, mais nous travaillons dans une structure et nous respectons le fonctionnement de cette structure. Souvent nous sommes obligés d’appeler les administrateurs, de tempêter pour certains enfants. L’administrateur aussi ne peut pas prendre de décision depuis son bureau. Il faut qu’il vienne constater, avant de faire la procédure qui exige des dépôts de documents pour que la prise en charge soit faite. Ça met du temps.  C’est le fonctionnement du système qui l’exige.

Vous parliez tantôt d’être en face des moins nantis le plus souvent. Quel est le cas qui vous a le plus touché sur cette question ? 

Les cas sont légion. Nous sommes tout le temps marqués. La dernière situation que j’ai vécue récemment, il s’agissait d’un nouveau-né qui est venu avec une malformation. La tête était très grosse et cela était liée à des anomalies au niveau des ventricules.  Malheureusement, les parents n’avaient pas de moyens financiers, malgré nos requêtes, nos démarches, nous n’avons pas pu avoir de solutions. On a essayé ce qu’on pouvait, on a envoyé des courriers à des structures privées pour des examens, malheureusement les parents ont décidé de sortir avec leur enfant contre avis médical. Hélas !

Bénéficiez-vous d’appuis quelconque dans la prise en charge ?

Nous sommes dans un service public. Les infrastructures, le matériel, le personnel est à la charge de l’État de Côte d’Ivoire. Nous travaillons pour l’État, nous sommes des agents de l’État de Côte d’Ivoire. Il y a déjà une contribution de l’État.  Maintenant, nous avons toujours besoin des ONG, des structures qui peuvent nous accompagner. L’État seul ne peut pas tout faire. Des structures peuvent venir accompagner l’État dans la prise en charge.

Quels sont vos propositions d’amélioration de la prise en charge ?

D’abord il faut bien équiper nos centres de santé, avoir le personnel qu’il faut, en nombre qu’il faut. Malheureusement il faut le dire souvent le personnel est en nombre insuffisant. Il faut donc de l’équipement, les infrastructures, le personnel en nombre suffisant et bien formé, la disponibilité de matériels et de médicaments de prise en charge.

Peut-être revoir aussi dans le fonctionnement le circuit.  Il faut éviter les échanges de ressources financières directes. Ce sont ces échangent qui entrainent souvent la corruption, les rackettes. Si les gens étaient assurés et que l’assurance marchait, dès que l’individu arrive, il se rend au bureau d’entré, il règle tous les problèmes d’assurance et on ne parle plus d’argent dans le fonctionnement. Cela peut faire baisser les rackettes et améliorer la prise en charge.  

Avez-vous quelque chose à ajouter ?

Je voudrais inviter les parents, à se rendre le plus tôt possible dans les centres de santé.  La prévention par la vaccination en Côte d’Ivoire chez les enfants est gratuite jusqu’à l’âge de 11 mois. Il faut le faire. Bien qu’au-delà de 11 mois elle est payante, il faut continuer à le faire, cela est indispensable pour éviter un certain nombre de maladies. Il y a des maladies qu’on peut prévenir par l’utilisation de mesures. L’hygiène de notre environnement, l’utilisation des moustiquaires imprégnées des insecticides…  En dehors de cela, il faut écouter les recommandations, consommer de l’eau potable, allaiter les nourrissons jusqu’à six mois, avant d’ajouter d’autres aliments. Écouter et suivre les recommandations nationales en matière de santé c’est indispensable.

Interview réalisée par Marina Kouakou

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