Publié le 22 avril, 2022

La poterie, autrefois très présente dans le quotidien de l’homme, est devenue plus décoratif. Comment les acteurs de ce noble secteur survivent à cela ? Notre dossier.

De la poudre d’argile transformée en vase de terre cuite. Voilà en quoi consiste le travail des potières. Cela demande d’avoir une formation, un vécu, de l’art. En somme une ADN. Les Mangôro semblent la détenir.  Ce peuple est originaire de l’empire mandingue. L’histoire nous apprend que les Mangôrô sont les détenteurs des secrets de la poterie. La connaissance est transmise de mère en fille. Cela permet de perpétuer la pratique de l’activité. « Nous sommes nées dedans, c’est notre métier. Et nous allons mourir dedans. Un mangoro ne peux pas vivre dans un endroit où il ne peut pas faire son activité », précise Mme Coulibaly Djenebou une revendeuse du quartier Maroc dans la commune de Yopougon.

Lorsque Samory Touré a attaqué le grand empire mandingue avec ses troupes, les peuples, fuyant les combats acharnés, se sont déplacés pour se mettre à l’abri. C’est ainsi que les Mangôrô sont allés vers le sud, c’est à dire le Nord de la Côte d’Ivoire.  Chacun est parti de son côté avec sa connaissance. Il est donc possible que les Mangôrô soient à l’origine de toutes les zones de production du canari. Il s’agit de Séguéla, de Tanou Sakassou, un village à 10 km de Bouaké. A ces villes il faut ajouter Motiamo, à 7 km de Bondoukou, Korhogo et Katiola. Ce sont des sites où les potières sont en grande activité. Mais il n’est pas exclu que d’autres existent dans certaines régions du pays. Organisées en coopératives pour la plupart, ces artisanes ont des espaces d’exposition.

La production

Le travail de la poterie n’a pas de secret pour ces braves femmes. L’extraction de l’argile se fait à la carrière à l’aide de pioches. Mais il y a des conditions à remplir pour y aller. « Il faut faire des sacrifices pour demander l’autorisation aux génies de la terre. De fait, deux femmes qui ont connu un même homme ne doivent pas y aller.  C’est pourquoi les jeunes femmes n’acceptent plus de se rendre à la carrière. Elles préfèrent solliciter l’assistance de certains hommes » nous informe Coulibaly Karidia, notre guide à Katiola.

Il est aussi interdit de se rendre à la carrière les vendredi, dimanche et lundi (Katiola). Les jours changent selon les villes. De plus il faut extraire l’argile adaptée à la fabrication du canari. L’argile recueillie est pilée, séchée et passée au passoir pour être débarrassée des petites pierres et de la saleté. Ensuite on la mouille légèrement avant de procéder à la fabrication. C’est à ce niveau que le génie créateur de l’artisane entre en jeu. La pâte est modelée tranche par tranche par la potière pour fabriquer les canaris. Ses outils de travail sont des objets rudimentaires dont le roulement d’un gros camion qui sert de plaque tournante utilisée par ces femmes pour transformer la boule d’argile en produit fini.

La cuisson

Lorsque l’artisane juge avoir suffisamment de pots, elle passe à la phase de cuisson. Elle fait du feu de bois, et, aidée par d’autres potières, elle place d’abord le bois, puis les pots qu’elle couvre d’herbes. Toute la cuisson est surveillée et elle se termine avec la fin de la combustion qui se reconnaît par la couleur blanche des cendres. Les pots sont ainsi retirés pour la teinture. En général, les canaris sont de couleur noire ou de la couleur rouge brique.

L’astuce. Pour obtenir la couleur noire, la potière ôte du feu avant cuisson le canari et le couvre de paille. C’est la fumée dégagée par celle-ci au contact du canari chaud qui donne cette couleur sombre. Avant la fin de la cuisson, la potière prépare une décoction à base d’écorces bouillies pour la teinture. Et c’est dans cette décoction qu’on plonge les canaris passés au feu pour leur donner la brillance. Lorsque le canari franchit cette étape il est prêt pour la vente

 La vente

Dans sa forme originale le canari n’est plus aussi prisé. Les potières l’ont bien compris. « Aujourd’hui la modernisation fait changer les choses. Nous ne pouvons plus faire comme nos parents », reconnaît Mme Coulibaly Djenebou.

Les potières sont organisées en coopérative dans les différentes villes où elles sont installées. Elles parlent d’une seule voix. Ainsi à Katiola, elles ont obtenu, avec l’aide de la tutelle, une maison de la potière, lieu d’expositions et de vente de leur produit. De plus le format des canaris a changé en fonction de la clientèle.  Les fruits du travail de ces braves femmes sont constitués d’objets divers dont la beauté vous laisse pantois.

Les formes des réalisations des potières sont très variées. On y trouve un peu de tout en fonction de la localité où elles se trouvent. A Tanou Sakassou, à Bouaké, dans le centre du pays, on trouve des pots à kédjénou, des canaris, des vases de chef, des jarres, de la vaisselle variée, ainsi que des objets plus contemporains décorés de motifs géométriques inspirés de croyances et rites baoulé. Des objets zoomorphes ou anthropomorphes, se distinguant par leur finesse et leur originalité : col à tête de femme, vase aux anses en forme de personnage courbés, gargoulettes à deux goulots au couvercle orné d’oiseaux.

Faire des gains pour vivre de leur métier. Voilà ce qui anime ces originaires du mandingue. Les coopératives jouent un grand rôle dans la commercialisation des produits finis. Elles offrent un cadre d’exposition et de vente. Abidjan, Gagnoa, Grand-Bassam, San-Pedro, Man, Yamoussoukro…. Presque toutes les villes sont approvisionnées par ces coopératives. Les festivals, toutes les rencontres commerciales en exposition et vente sont des espaces utilisés par ces productrices pour ventiler leurs objets d’art.

Les difficultés

Les grossistes approvisionnent les différentes villes. Coulibaly Barakissa, résidente du nouveau quartier dans la commune de Yopougon, fait partie des nombreuses revendeuses installées dans la capitale économique du pays. « Cette activité nourrit son homme. Je fais ce commerce pour m’occuper de mes enfants depuis leur bas âge. Je vends dans les quartiers à proximité comme Mossikro, camps militaire, Koweït, toit rouge… J’approvisionne certaines revendeuses installées dans d’autres quartiers. Je n’ai pas de clients hors du pays. On n’a pas assez de moyens pour ça. Sinon il y a des possibilités vers la France, les Etats-Unis, l’Allemagne », nous instruit la jeune femme.

Et comme dans tous les secteurs d’activité, le milieu de la poterie est sinistré. Les carrières où est extrait l’argile sont de plus en plus menacées. Le développement rapide de nos cités englouti leurs emplacements. A cela s’ajoute le chantage des propriétaires terriens.

La tutelle, qui devrait être un recours pour ces braves femmes, est totalement absente. Et même les quelques actions qui sont menées par celle-ci restent invisibles.  « Nous demandons toujours au gouvernement de nous aider. Mais son aide atterrit dans des mains obscures. Il y a des personnes par leurs relations et leurs titres, se font les interlocuteurs du secteur à notre détriment, nous qui sommes les héritières de la tradition et les productrices en matière de poterie. Et cela se fait avec la complicité de certaines personnes de l’artisanat. Tout ce que le gouvernement a pu donner n’est jamais arrivé aux personnes ressources. Ce n’est pas juste.  Il faut que les autorités revoient cette manière de faire », affirme sans détours Coulibaly Djenebou depuis son point de vente à Yopougon. « Je ne sais même plus combien de coopératives de potière il y a à Katiola. Et tout se fait avec la complicité de certaines autorités. Or, cela est contreproductive pour le secteur de la poterie », renchéri Coulibaly Karidia, présidente de la S-COOP-S-PO-KA.

Une chose que le ministère de la Promotion des PME, de l’artisanat et de la transformation du secteur informel se doit de corriger pour ce secteur qui emploi beaucoup de personnes.    

 Sékongo Naoua

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