Publié le 31 août, 2021

Dans cette édition, VoixVoie De Femme diffuse la troisième et dernière partie de l’interview accordée au directeur du Centre ivoirien antipollution (CIAPOL), Dr Martin Dibi Niagne. Ici, le patron de l’institution évoque les difficultés qu’il rencontre dans la conduite de sa mission.

Pouvez-vous citer plus précisément les difficultés du CIAPOL ?

D’abord nous n’avons de siège. Nous sommes installés en pleine ville avec les commerçants partout. Pourtant le CIAPOL devrait être dans un endroit retiré, dans un endroit calme. Avant nous étions à Attécoubé en bordure de lagune avec les marins. A cause des nouvelles missions de la marine (elle a été élargie), le CIAPOL a dû quitter. Nous cherchons un endroit plus adapté pour nous installer. Nous n’avons pas de laboratoire. Je vous le disais tantôt.  Nous sommes obligés de sous-traiter nos analyses avec des laboratoires privés. Et généralement, nous ne sommes pas satisfaits de ces analyses, mais nous n’avons pas le choix.

Lors de la semaine de l’environnement, début juin 2021, vous indiquiez que le CIAPOL avait des difficultés. Certains parliez-même d’un plan Marshall… 

Quand nous sommes arrivés en 2012, on a fait faire un audit organisationnel par le Programme des Nations unies pour l’Environnement (PNUE). Nous avons chiffré nos besoins en équipement, en personnel et autres. On a remis le dossier et depuis on attend. Nous avons besoin d’un laboratoire, d’équipement et surtout d’un siège en bordure de lagune. Imaginez-vous si nous subissons une catastrophe de pollution en mer, on doit être capable d’intervenir rapidement avec nos bateaux. Cela suppose que nous soyons dans un endroit adapté pour pouvoir régir avec promptitude.

Avez-vous prévu une telle alternative en cas de pollution, bien que vous ne soyez pas dans les conditions que vous souhaiteriez ?

Il faut savoir que parlant de la prévention contre les accidents de pollution en mer, aucun pays, y compris les pays développés, ne peut être prêt. En Côte d’Ivoire, ce que nous avons fait, c’est tisser une collaboration avec les opérateurs privés, notamment les pétroliers qui ont des équipes. Si aujourd’hui, je touche du bois, il y a quelque chose, on va réunir l’équipe et les opérateurs vont nous aider. En attendant les secours de l’international.

Voulez-vous dire que vous comptez également sur l’international ?

L’Etat de Côte d’Ivoire a signé des conventions qui permettent de bénéficier de l’aide internationale en cas de besoin. Donc si demain un accident advient, on sera assisté par le monde. Mais cela ne nous dispense pas de nous-même nous préparer.

Le 16 juillet 2021, vous avez rendu publique le Rapport sur l’état de l’environnement marin et côtier en Côte d’Ivoire (REEM-CI). C’est le seul document qui contient des données sombres sur la Côte d’Ivoire depuis plus de 20 ans. Le rapport ne vient-il pas un peu en retard ?

Au moins, il faut se réjouir de l’existence d’un rapport sur la question. Ne dit-on pas ‘’mieux vaut tard que jamais’’ ?. Je vais vous dire que la Convention d’Abidjan, signée en 1981, dit que chaque année, les pays partie doivent produire un rapport. Je crois que dans l’intervalle, on en a fait un. Mais l’élaboration de ces documents demande beaucoup de moyens financiers. C’est une question de budget et tout cela fait partie des difficultés que nous avons.

Quelles sont vos rapports avec les industriels ?

Il y a toujours des industriels véreux. Fort heureusement, nous avons une police. Certains font fi de la démarche régulière et vont directement s’installer et commence à travailler.  Mais nous envoyer des agents sur le terrain pour vérifier et détecter les opérateurs qui ne sont pas en conformité avec l’environnement.

Et qu’est-ce qu’ils encourent, ces opérateurs qui ne respectent les règles ?

On les prend individuellement et on les oblige à nous donner un programme de mise en conformité. Un programme qu’on suit.

Comment ?

Nous avons des antennes à Bouaké, à Daloa et San Pedro pour être plus proches des opérateurs. Mais le rôle du CIAPOL, ce n’est pas seulement de faire la police. C’est aussi et surtout d’accompagner les opérateurs. On ne peut pas aller fermer systématiquement une usine. On les oblige à respecter les normes. Tout cela pour et sauver les emplois, mais aussi respecter l’environnement.

Pourquoi, selon vous, des opérateurs tentent de tricher malgré votre approche d’accompagnement ? Est-ce à cause du coût de la mise en conformité ?

Non, ce n’est pas l’imposition qui est insupportable. Il y a toujours des operateurs qui aiment contourner les normes quelle que soit votre souplesse. Mais nous avons notre unité de police environnemental qui fait son travail.

Est-ce qu’ils vous arrivent souvent de fermer des entreprises ?

Oui. Quand nous tombons sur des récalcitrants. Actuellement, nous avons un cas en ce moment en justice. Nous avons un cabinet d’avocat qui nous assiste quand on est face à des situations de défiance. Mais nous privilégions toujours le dialogue. Parce que nous savons que les entreprises, ce sont des pourvoyeurs d’emploi. Pour nous, le pollueur c’est d’abord un partenaire.

Vous arrive-t-il par moment de constater des cas de corruptions de certains de vos agents qui ferment les yeux sur la présence d’opérateurs qui ne respectent pas les formalités ?

Nos agents sont assermentés.  C’est vrai que des opérateurs tentent de ruser avec nous. Mais mes agents assermentés font leur travail. Parce qu’ils savent les sanctions qu’ils encourent, s’ils sont impliqués dans un cas de corruption.

Combien d’usines sont déjà sous le coup de fermeture ?

Cette année, nous avons déjà fermé une usine. Et chaque année, nous fermons au moins une.  On donne des mises en demeure. Et quand elles viennent se mettre en règle, elles rouvrent.  Beaucoup concerne les usines installées dans des zones d’habitation. Je ne comprends pas comment ces usines arrivent à trouver des autorisations pour s’installer dans ces zones avec les populations. Quand on découvre, on ferme ou bien les opérateurs délocalisent.   

Quelles sont les sanctions que ces opérateurs encourent en dehors de la fermeture?

Il y en a deux : la sanction pénale et la sanction administrative. La sanction administrative consiste pour le ministre de faire une mise en demeure, puis s’en suit la fermeture.

Et comme il y a un impact sur le milieu, le code de l’environnement dit que tu dois payer quelque chose. Et on t’envoie en justice.

Est-ce cela le principe Pollueur payeur ?

Je reviens sur l’étude de faisabilité de la dépollution de la baie lagunaire. On nous a proposé 11 vice-projets. La première, c’est les macro déchets, la deuxième c’est le principe Pollueur payeur qu’on va attaquer.

Sur ce point, comparativement aux pays européens, on n’a pas encore réussi à définir l’assiette. C’est-à-dire le montant à payer par le pollueur.

Cela fait un mois que nous avons pris attache avec un cabinet français et il a fait l’étude de faisabilité de l’application du principe Pollueur payeur.  Il va nous définir l’assiette et ça va passer par l’annexe fiscale qui sera adopté par le Parlement. Ce n’est pas un petit dossier. Parce que pour qu’il paye, il faut d’abord des analyses pour évaluer la quantité du produit du polluant déversé qu’on multiplie par l’assiette, chaque polluant ayant son assiette. C’est un grand programme. Nous y sommes.

Vous avez reçu plusieurs prix pour votre action en faveur de la lutte contre la pollution. Quels sentiments cela vous inspire-t-il ?

Je suis très souvent surpris. Mais, c’est la joie qui m’anime. Et c’est le sentiment que tout le monde a quand il est primé. Mais, chaque fois que j’ai eu un prix, j’ai pensé à tout le personnel du CIAPOL. Ce n’est pas le prix de Diby, mais, c’est le fruit de chacun des travailleurs du CIAPOL. Parce que tout le monde est impliqué dans la marche de notre structure. Quand il y a une mission et que nous sommes informés, nous trouvons des agents disponibles pour aller sur le terrain. C’est cette équipe qui travaille. C’est le quatrième prix de suite que j’aurai. C’est une grâce. Malgré nos faibles moyens, nous faisons notre travail. Notre souhait, c’est de répondre aux préoccupations des populations.

Ténin Bè Ousmane

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