Publié le 8 février, 2021

A l’occasion de la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines (MGF), le médecin-commissaire de police, gynécologue obstétricien réaffirme son engagement à restaurer les femmes excisées. Interview

En quoi consiste la chirurgie réparatrice des femmes victimes d’excision ?

La chirurgie réparatrice des survivantes, (femmes excisées), consiste à repositionner le reste du clitoris. Le clitoris en lui-même est long.  Il fait à peu près 10 cm, et les exciseuses vont amputer une partie. Un demie cm ou 1 cm. En plus, elles vont amputer aussi les lèvres, les petites lèvres. Pour réaliser cette chirurgie il faut d’abord enlever la cicatrice, disséquer le reste du clitoris et le repositionner. En fait c’est le même organe avec la même sensibilité et les mêmes innervations.

Quelles démarches faut-il pour bénéficier d’une prise en charge ?

Une femme qui a besoin de cette intervention peut simplement se rendre à l’hôpital de police d’Abidjan où j’exerce. Elle a aussi la possibilité de passer par une ONG de prise en charge.

Combien d’opérations pouvez-vous réaliser dans le mois ?

Les deux mois derniers, j’en ai réalisé quinze. L’âge la plus récurrente des patientes est la trentaine. Mais, la tranche d’âge de femmes excisées que j’ai restauré jusqu’à ce jour varie entre 22 et 54 ans. Au-delà de 50 ans, elles viennent surtout pour l’intégrité physique pas pour le sexe.

Combien coûte une intervention ?

On ne peut pas évaluer le coût. Il n’est pas codifié comme la césarienne qui dispose d’une nomenclature internationale des actes médicaux qui existe et qui permet de déterminer le montant. Il n’y a pas de coût évalué et puis c’est du social qu’on veut faire. Il y a un coût pour pouvoir réunir tout le matériel, mais il est variable.

Dans quel état d’esprit les femmes sont avant et après cette intervention ?

Quand elles arrivent, elles en veulent énormément à leurs parents. Nous leur disons de ne pas en vouloir aux exciseuses et à leurs mamans car elles ne savaient pas qu’elles leurs faisaient du mal. Sinon elles en veulent énormément à toutes les personnes qui ont participé à la réalisation de l’excision.

Quand elles sortent de là, elles rajeunissent, deviennent plus joviales. Elles ragaillardissent. Lorsqu’elles finissent de se faire restaurer, elles disent plus souvent qu’elles ignoraient tout le mal qui leur avait été fait jusqu’à ce jour.

Une autre patiente de 48 ans restaurée récemment a aussi témoigné du fait qu’elle sent désormais un changement en se regardant dans la glace, lorsqu’elle observe ces photos avant et après, parce qu’on prend une photo avant et après l’opération. Aussi à chaque rendez-vous pour leur permettre de voir l’évolution.

Quelle est la plus grosse difficulté que vous rencontrez ?

En général, les patientes n’ont pas assez de moyens. Toutefois quand elles exposent leur problème c’est comme si elles déchargeaient leur fardeau. Nous nous voyons dans l’obligation moral de les aider malgré qu’elles n’ont pas les moyens. Lorsqu’elles n’arrivent pas couvrir les dépenses, on fait la prise en charge quand même. Et nous sommes tout le temps confrontés à cela. Nous n’avons aucune subvention. Très souvent ce sont les ONG qui amènent des cas et nous faisons la prise en charge en fonction de nos possibilités.

« Nous avons réalisé 200 opérations »

Que souhaitez-vous pour une meilleure prise en charge ?

Il y a des pays dans lesquels le gouvernement finance et donne tout ce dont nous avons besoin et nous réparons. C’est le cas du Burkina. Avec l’ancienne première dame du Burkina cela se faisait. Le ministre actuel de la santé du Burkina le professeur Charlemagne Ouédraogo a aussi organisé cela. J’y suis allé il y a quelques temps pour deux semaines. Nous avons réalisé prêt de 200 opérations à cette période. Ces actions peuvent être aussi menées en Côte d’Ivoire. Nous sommes prêts à travailler pour nos mamans pour nos filles. Pourquoi ne pas le faire ?

Notre souhait, c’est qu’il y ait une possibilité de prise en charge comme dans d’autres pays. Qu’on puisse nous donner les moyens pour la restauration de ces femmes. Il faut une action concertée pour prendre en charge le pourcentage de femmes excisées et qui souffrent, puisque nous traitons pour le moment une très petite partie. Nous avons la capacité de prendre beaucoup plus de femmes, mais comme je l’ai dit, les moyens font défaut.

Vous attirez l’attention des acteurs aujourd’hui à ne pas oublier les femmes déjà excisées ?

C’est très important parce depuis que j’assiste aux différentes conférences, on en a jamais parlé. On parle de la lutte contre les mutilations génitales féminines, mais il y a quand même prêt de 36 femmes sur 100 qui ont été mutilées. Qui souffrent dans leur chair, qui ont été frustrées et sur le plan psychologique, elles souffrent seules. On ne peut pas parler des organes génitaux en Afrique comme cela. Il y a des femmes qui ont perdu leurs foyers à cause de cela. Elles ont besoin de prise en charge et je ne voie toujours pas une action concertée à ce niveau-là. C’est pourquoi j’attire l’attention des différentes autorités, qu’elles ne doivent pas oublier cette frange de femmes. Lorsque vous voyez une femme mutilée qui est ensuite restaurée, ce n’est plus la même femme. J’ en ai opéré plusieurs notamment au niveau de la police comme en dehors de la police, c’est toutes les couches sociales. Il faut aussi mettre aussi l’accent sur les femmes excisées, elles sont souvent très nerveuse.

Interview réalisée par Marina Kouakou

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