La Côte d’Ivoire présente la candidature de Marguerite Yoli-Bi Koné comme experte internationale au sein du CEDEF.

Publié le 28 août, 2020

La Côte d’Ivoire présente la candidature de Marguerite Yoli-Bi Koné comme experte internationale au sein du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) pour la période 2021-2024.  En attendant la tenue de cette élection le 2 septembre 2020 à New York, à l’occasion de la 21e réunion des Etats parties à la CEDEF, l’activiste ivoirienne pour les droits de la femme et des enfants, présidente du Conseil d’administration du WANEP Côte d’Ivoire, commissaire centrale de la Commission électorale indépendante (CEI), s’est ouverte à VoixVoie De Femme, ce mercredi 20 août 2020 à Abidjan-Cocody. Interview.

Le 2 septembre prochain, à New York, aux Etats-Unis, se tient l’élection des experts au comité pour l’élimination de toute discrimination à l’égard des femmes (CEDEF). En Côte d’Ivoire, toute la société civile ivoirienne et l’Etat ivoirien se mobilisent autour de votre candidature. Quel sentiment avez-vous devant ce soutien ?

Je reçois ce soutien avec joie et plaisir. Je le reçois d’abord comme une reconnaissance des organisations de la société civile. Je suis venue dans ces organisations à la fin des années 1990. J’étais enseignante, syndicaliste…  Aujourd’hui, porter son choix sur moi pour cette candidature me ragaillardie et me fait dire que c’est une reconnaissance pour le travail que j’ai accompli. Peut-être que je faisais ce travail sans m’en rendre compte. Mais aujourd’hui, la société civile porte son choix sur moi et elle va voir le ministère de la Femme et de l’enfant, qui accepte de porter, lui aussi, ma candidature et au final, tout le monde au gouvernement, en conseil des ministres porte ma candidature à l’élection au comité de suivi du CEDEF. Il n’y a pas plus bel hommage qu’on puisse faire à quelqu’un. Je remercie mes collègues de la société civile, je remercie également le gouvernement, parce qu’il aurait pu ne pas suivre les organisations de la société civile.

C’est quoi au juste ce comité de suivi du CEDEF ?

D’abord la CEDEF, c’est la convention pour l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes. Cette convention a été prise par les Nations Unies en 1979. Elle est rentrée en vigueur à partir de 1981 après sa signature par 20 pays. Elle est venue du fait du déséquilibre que les Nations Unies ont vu entre les hommes et les femmes et l’impact qu’il y avait sur nos sociétés.  Pour faire le suivi, un comité a été mis en place pour évaluer  sa mise en œuvre. Ce comité a été mis en place depuis 1982 et il comporte 23 experts mondiaux. Tous les ans, ils auditionnent les pays. Et chaque pays a quatre années pour faire la mise en œuvre des recommandations. Au bout de quatre ans donc, chaque pays revient avec son rapport qu’il présente à ce comité qui prend en compte tous les volets  qui touchent à la vie de la société. A savoir les droits des femmes, les droits des enfants, les droits des handicapés, la participation politique de la femme, les droits de la santé. Il siège à Genève en Suisse. Ce comité de 23 experts est renouvelé tous les quatre ans de moitié. Donc à partir de 2021, on aura 11 nouveaux experts dont le mandat est fini et qui ont été renouvelés.

Quel est concrètement l’enjeu de cette élection pour notre pays ?

Depuis sa mise en place en 1982, la Côte d’Ivoire n’a jamais siégé dans ce comité. Cela fait  aujourd’hui 28 ans. Vous comprenez que c’est un enjeu pour nous Ivoiriens qui n’avons jamais siégé à ce comité et important qu’on ait l’un des nôtres qui y soit. D’abord cela fait de la visibilité pour le pays. Cela montre que notre pays a des personnalités capables d’être à ce niveau mondial. De deux, ça nous permet de conforter le gouvernement dans la mise en adéquation des directives de ce comité avec nos lois nationales. Avoir un Ivoirien dans ce comité apporte quelque chose à nos organisations de la société civile. Ce sont en effet, ces organisations qui mettent en général en œuvre les droits des femmes, les droits des enfants au niveau local.

C’est un enjeu important et SEM le président de la République l’a bien compris. A ce niveau de décision, il faut y être. Un Etat qui compte doit être au niveau où les décisions se prennent. Parce que l’audition de ce comité est comme un classement des pays qui ne dit pas son nom. C’est dans ces tribunes qu’on voit la capacité des Etats à s’adapter aux conventions internationales.

Si vous êtes élue, nous l’espérons vivement, une nouvelle carrière s’ouvre devant vous.  Ne craignez-vous pas la tâche ?

J’espère être élue membre et même pourquoi pas, présidente du comité. Mais je sais que c’est une lourde charge. Et je vous assure que quand ma candidature est passée en conseil des ministres, je n’en dors plus. Je me dis, alors, je suis l’ambassadeur de la Côte d’Ivoire à ce niveau-là, est-ce que je serai à la hauteur ? Mais en même temps, je me dis, avec l’aide de  tout le monde, avec l’aide de Dieu, je serai à la hauteur. Je connais ma capacité de travail. Et je ne vais pas faire honte à mon pays parce que la Côte d’Ivoire est un pays qui compte dans le concert des nations. Je le sais pour avoir tourné dans le monde. Partout la Côte d’Ivoire est  une curiosité par ses capacités. Donc je mesure de plus en plus le poids que j’ai sur la tête à représenter mon pays à ce niveau-là. Je prie  le bon Dieu  pour que je sois à la hauteur.  

Vous qui allez bientôt siéger dans ce comité de promotion de la femme dans le monde, quel regard portez-vous sur la question du genre dans votre pays, la Côte d’Ivoire ?

Beaucoup a été fait en Côte d’Ivoire. Mais beaucoup reste encore à faire. C’est vrai qu’en Côte d’Ivoire, les femmes n’ont pas eu à se battre pour avoir le droit de vote comme cela a été dans certains pays où ce sont seuls les hommes qui votaient. Depuis les premières élections en Côte d’Ivoire en 1945, la femme ivoirienne a toujours voté. Mais combien de femmes sont-elles élues. A peine, on atteint 20% alors que le concert des nations préconise un minimum de 30%. Même dans les sphères de décisions, combien de femme sont représentées ? Mais ce n’est pas pour autant que nous dirons qu’il n’y a pas eu d’évolution. A l’époque, on avait une seule femme ministre et elle était ministre de la condition féminine. C’était entre 1960 et 1978. Aujourd’hui, on a souvent atteint jusqu’à 10 femmes ministres et qui occupent des fonctions, non pas sociaux comme par le passé, mais des postes régaliens. On a eu des femmes ministre de la Justice, ministre de l’Economie et des finances, ministre du Plan… Ce n’est pas assez, oui, mais il y a eu une avancée. Et moi je suis confiante.

Au plan économique, vous savez que ce sont les femmes qui tiennent l’économie de la Côte d’Ivoire, bien qu’elles soient nombreuses dans la micro-économie. Ce sont les femmes qui tiennent les secteurs agricoles et du vivrier, deux secteurs essentiels à la vie.  Certes, il y a quelques soucis pour permettre à ses femmes de bénéficier du fruit de leurs efforts, mais il suffit de les organiser. Dieu merci, il y a beaucoup de fonds mis en place pour aider ces femmes à sortir de la précarité. Et quand elles sortiront de la précarité économique, les autres pans vont suivre. En effet, une femme qui a l’indépendance économique est capable de déclarer son enfant à la naissance par exemple, de scolariser ses enfants pour que demain, ses filles et ses garçons scolarisés par leurs mamans arrivent là où la maman n’est pas arrivée. Oui, je dis qu’il y a eu des avancées, mais ce n’est pas suffisant.

Fin 2019, la Côte d’Ivoire a adopté une loi imposant un quota d’au moins 30% pour les femmes dans les organes de décisions. Où en sommes-nous avec l’application de cette loi ?

Avec cette loi, il est dorénavant exigé 30% de candidatures féminines à toutes les élections des assemblées élues. A savoir les sénatoriales, les législatives  les conseillers régionaux, les mairies. Elle n’est pas encore mise en œuvre, certes, mais les prochaines élections nous dirons si nous avons eu raison de défendre cette loi.

En fait, l’histoire de cette loi, c’est aussi mon histoire. C’est l’aboutissement d’une lutte de plus d’une dizaine d’années. Heureusement, sous la Ministre Bakayoko Ly-Ramata, nous sommes arrivés au bout. Mais il faut souligner que c’est avec l’impulsion de toutes les femmes de Côte d’Ivoire. Qu’elles soient politiques ou de la société civile.

Pensez-vous que cette loi suffise à améliorer le taux de représentativité des femmes dans les sphères de décisions en Côte d’Ivoire ?

Nous ne disons pas qu’elle suffit, mais nous pensons que cette loi va améliorer les choses. Parce que depuis toutes les élections, malgré que les femmes sont à peu près  50% sur la liste électorale, à peine 10% de femmes sont élues maires, 3% des femmes conseillers régionaux, 18% de femmes à l’Assemblée nationale. Comme je l’ai dit, avec les élections qui s’annoncent, nous espérons déjà que nous aurons un meilleur taux cette fois-ci. C’est l’occasion pour nous d’appeler  à la multiplication des candidatures féminines. Nous nous sommes rendus compte, que plus il y a des candidatures féminines, plus il y a de femmes élues. Le taux de réussite des femmes est d’ailleurs meilleur que celui des hommes.

Au-delà de cette loi, n’êtes-vous pas tentées par la mise en place de mécanismes pour imposer la parité comme cela se voit dans certains pays comme le Rwanda ?

Effectivement, il y a des pays qui ont fait le choix de sièges réservés. C’est le cas du Rwanda et du Burundi. Ce principe consiste à réserver des sièges pour les femmes, et ce sont exclusivement les femmes qui compétissent entre elles. Mais ce n’est pas l’option qui a été faite en Côte d’Ivoire. Ceci dit, je signale que ce n’est pas seulement au niveau électif que nous avons ces problèmes de faible représentativité des femmes. On le voit également  au niveau des postes de nominations (directions, directions générales, présidents de Conseil d’Administration PCA etc…

Vous savez que l’article 37 de notre Constitution dit clairement « que l’Etat œuvre à promouvoir la parité entre les hommes et les femmes sur le marché de l‘emploi…… ». Partant de là, je suis d’accord avec vous pour dire qu’on a besoin d’un mécanisme pour atteindre cet objectif. Ça pourrait être une autre loi ou un décret de mise en application de cet article de notre Loi Fondamentale. Surtout dans le cas des nominations car  pour nommer, on n’a pas besoin de faire des élections.

Ne pensez-vous que la parité dans les administrations pourrait poser un problème de compétence quand on se réfère au faible nombre de femme qui parviennent à faire des études supérieures ?

Justement on ne demande pas que les femmes viennent « boucher des trous ». Il faut prendre des femmes capables d’assumer le poste. Quand on nomme des femmes qui ne sont pas capables, ça dessert l’image de la femme. Par contre, ce n’est pas vrai de dire qu’il n’y a pas suffisamment de femmes compétentes. Il y a des femmes capables dans tous les domaines en Côte d’Ivoire. Il suffit de consulter le compendium de compétences féminines qui comporte au moins 10 000 femmes dont les CV et les parcours sont remarquables. On peut puiser entre elles pour nommer les femmes. Il ne manque que la volonté politique, je pense.

Il est tout de même établi que la scolarisation de la jeune fille demeure faible comparativement aux garçons…

Aujourd’hui, nous avons atteint la parité filles-garçons au primaire grâce à la loi de 2015 qui oblige les parents à scolariser gratuitement leurs enfants jusqu’à 16 ans. Le problème se situe encore au niveau du secondaire et du supérieur. Et là, ce n’est plus la scolarisation, mais c’est le maintien de la fille à l’école. Vous savez que les conditions de vie pour les enfants filles et garçons ne sont pas les mêmes dans notre société. Une petite fille qui va à l’école avec son petit frère. Au retour de l’école, le petit garçon va jouer au ballon, il se détend un peu. Mais la petite fille, quand elle dépose son sac, elle rentre dans la cuisine aider sa maman. A cela il faut ajouter les grossesses qui impactent négativement leurs études.

Je voudrais reconnaître avec vous que c’est la femme qui fait l’éducation de l’enfant. Comme nous sommes dans une société patriarcale, la petite fille continue d’être traitée ainsi. Mais cela est en train de changer petit à petit, parce que même nos parents  dans les villages, ont compris l’importance qu’il y a à mettre les filles à l’école parce qu’ils voient des Ministres ,préfets et sous-préfets qui sont des femmes.

Vous dites que les choses sont en train de changer petit à petit. Avez-vous des propositions pour accélérer ce changement ?

Pour accélérer les choses, il faut mettre les filles dans les bonnes conditions d’études pour ne pas qu’elles soient livrées à elles-mêmes. En prenant par exemples en charge leur scolarité. Il faut sensibiliser à la déclaration des naissances. Aujourd’hui encore, il y a des enfants qui naissent et qui ne sont même pas déclarés à la naissance.  Et souvent on préfère ne pas déclarer la petite fille. Je suis déjà fière de constater qu’aujourd’hui, il y a plus de 121 IFEF (Instituts de formations et d’éducations féminines) en Côte d’Ivoire. Ces IFEF rattrapent les filles qui sont sorties de l’école et qui peuvent avoir des diplômes.Il y a d’ailleurs  une réforme des IFEF en cours en ce moment. Une réforme qui permettra aux femmes et aux filles, au terme de trois années de formation, au lieu d’une attestation, d’avoir un diplôme académique reconnu. Heureusement, la ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfant, Bakayoko-Ly Ramata, qui est une enseignante de formation, professeure d’université, met un point d’honneur à cette réforme des IFEF qu’elle a entreprise depuis sa prise de fonction dans ce département ministériel.

Il y a eu des bonds qualitatifs pour les droits des femmes en Côte d’Ivoire, nous devons continuer. Parce qu’à la fin c’est aussi le combat pour une cohésion sociale durable, c’est toute la société qui gagne.

Vous êtes un modèle de réussite admirée au-delà des frontières ivoiriennes. Quels conseils pouvez-vous donner à toutes ces jeunes filles qui rêvent de vous ressembler et qui doutent encore ?

C’est la socialisation qui fait que nous doutons un peu. Cette socialisation dit inconsciemment, que la femme n’a pas droit à la parole. Elle n’est pas dans la sphère publique, mais dans la sphère privée. Ce qui fait que la femme n’a pas confiance en elle-même. Même quand elle a les capacités, elle doute. Il faut qu’elles aient confiance en elles-mêmes. Mais il nous appartient, nous les femmes qui sommes arrivées à un certain niveau, de partager notre expérience avec les autres. Il nous appartient de mettre en confiance ceux ou celles avec qui nous travaillons. Cela doit commencer déjà avec les enfants que nous élevons, nos filles que nous avons mises au monde, nos filles de ménages… Nous devons les mettre en confiance pour que leurs capacités explosent. Parce qu’elles ont des talents enfouis. Il faut faire germer ces talents. 

Aujourd’hui c’est avec aise que je vous parle. Mais je n’ai pas toujours été comme ça. Il y a eu des personnes qui m’ont coachée,  à commencer par ma maman. Elle n’est pas allée à l’école, mais je l’ai vue dans le travail, dans l’abnégation. J’ai vu comment elle réglait les petits palabres entre nous ses enfants. Elle ne prenait pas partie pour l’un ou l’autre. C’est ce rôle-là que nous devons jouer pour mettre en confiance les jeunes filles et les femmes. Souvent, ce que les gens reprochent aux femmes qui ont atteint un certain niveau de réussite, c’est de vouloir faire comme les hommes. On les trouve « dures » de caractère, trop sévères. A ces femmes, je dis, de demeurer femmes.. Quand on parle d’égalité, ce n’est pas pour changer nos chromosomes. Quand on parle d’égalité, c’est égalité en droits. Quand on donne à manger à l’homme, on doit en faire autant pour la femme. Mais la femme doit rester femme. Quand elle arrive quelque part, elle doit impacter positivement. Il faut qu’on sente qu’elle est femme et qu’elle est là. Les femmes doivent aider. Et cela doit se faire avec les hommes. Nous demandons aux hommes de mettre en confiance les femmes. Il faut éviter de les railler pour leur faire perdre confiance en elles-mêmes. La femme seule ne peut pas y arriver. C’est vrai qu’il faut des lois, mais on a besoin que les hommes aident les femmes à se faire confiance. Qu’ils comprennent qu’il y va de la survie de toute la société… Et je pense qu’à force de sensibilisation les choses vont s’améliorer.

Réalisée par Ténin Bè Ousmane

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