À la sortie de la crise post-électorale, le président de la République a décrété la gratuité généralisée des soins, en avril 2011. Fort des résultats positifs et de la satisfaction des autorités pour cette décision, un nouveau programme a été lancé huit mois après : la gratuité ciblée. Initié avec pour objectif d’offrir, à titre gracieux, des services et actes médicaux dans le cadre des consultations prénatales, des accouchements et leurs complications, des consultations pour les enfants de 0 à 5 ans et la prise en charge du paludisme grave, ce programme de gratuité ciblée a permis, selon les statistiques du gouvernement, de distribuer en 2019, 545.727 kits d’accouchement, 77 983 kits de césarienne et 1 218 453 divers produits contre le paludisme aux hôpitaux et centres de santé publics. De janvier en juin 2020, 121 685 kits d’accouchements ont été gratuitement mis à la disposition des populations, 15.358 kits de césarienne, 5.515 kits d’anesthésie générale-thiopental et 9.525 kits rachianesthésie nécessaires dans le cadre des césariennes et 739.284 divers produits de paludisme ont été gratuitement mis à la disposition des établissements sanitaire. Or, dans ces hôpitaux, les patients affirment débourser de l’argent pour recevoir des soins. Les hommes en blouse disent le contraire. Cette gratuité ciblée des soins en Côte d’Ivoire est-elle une réalité pour les femmes ?

Nos reporters sont allés à la rencontre des femmes et des pratiquants de santé à travers un hôpital et deux centres de santé urbain et communautaire d’Abidjan…

D’un centre… à un autre

Il est 9h30, au centre de santé d’Angré-Terminus 81, nous rencontrions dame Clotilde Affouet qui venait de faire le vaccin de son bébé. « Je viens de faire le vaccin de mon bébé et il a été gratuit ici. Dans ce centre, on a été toujours bien accueilli. Les sages-femmes et les infirmières ont été toujours gentilles avec nous. Quant aux soins gratuits, je ne n’en sais rien », indique-t-elle. Comme Affouet, Ayenon Chantal, M’bo Clémentine, Sylla Maïmouna que nous avons interrogées sur le sujet abordent dans le même sens. Accueil parfait, service de bonne qualité, mais quant à la gratuité de soins, elles en savent rien ou pas grande chose. D’ailleurs, certaines parmi elles disent qu’elles sont forcées de payer des gants que les infirmiers n’ont jamais utilisés ou qu’ils utilisent rarement lors de leur consultation…

Nous décidons donc d’aller nous entretenir avec un médecin pour en savoir plus. Conduits chez le directeur de ce centre, la secrétaire qui nous reçoit, nous demande de patienter le temps d’avertir son ‘’Boss’’. A sa sortie du bureau, elle nous annonce que son patron veut d’abord un courrier avant toute chose. « Il demande que vous lui écrivez avant qu’il ne réponde à vos préoccupations », nous informe-t-elle. Et d’ajouter : « pour interroger les patients dans cet hôpital, il faut une autorisation ». Pas besoin d’une autre explication. Nous nous dirigeons vers la sortie, avec en tête de poursuivre notre reportage. Nous patientons à quelques encablures du centre pour prendre encore des avis de patientes. Mais rien ne change. Les femmes estiment que tout se passe bien dans cet endroit. Ok ! il est temps pour nous d’aller voir ailleurs. Notre prochain centre d’intérêt, le centre de santé communautaire d’Abobo-Té. 

À notre arrivée, nous croisons madame Konaté Mariam. Après les présentations, nous posons nos préoccupations. Presqu’énervée, Dame Konaté nous répond sans ambages. « De quoi vous parlez ? Gratuité de quoi ? Ici, oui j’ai reçu de la gratuité mais pas de cette gratuité dont vous me parlez. La gratuité que j’ai reçue c’est celle de l’implant. Au début j’ai déboursé 2000 Fcfa mais les autres fois ça été gratuit. Sinon concernant la gratuité des soins maternels et de l’accouchement, nous avons toujours payé quelque chose », s’est-elle fendue.

Une autre patiente aborde dans le même sens que la précédente : le non-respect de la gratuité des soins prénataux, les accouchements et leurs complications… Pour madame Kouadio Georgette, « La seule chose gratuite dans cet hôpital, c’est le ticket de l’enfant qu’on me donne gratuitement pour sa consultation sinon tout le reste est payant. Les carnets sont payants. J’ai eu 05 enfants à qui j’ai donné naissance dans ce même hôpital et j’ai toujours payé pour mes accouchements », affirme-t-elle avant de reconnaitre que « lors d’un accouchement, j’ai eu une hémorragie interne, les sages-femmes se sont occupées de moi sans que je ne donne un rond ».

En plus de la non gratuité des soins concernant les femmes qu’elles désapprouvent, les femmes que nous avons rencontrées, estiment que le service n’est pas à la hauteur à part quelques infirmières qui font bien leur travail. En outre, la faiblesse de l’accueil et le manque de considération des patientes dans cette maternité ont été pointées du doigt. Une autre dame que nous avons croisée, dit qu’elle a été éconduite parce qu’à la maternité, le service prenait fin à 12 heures. « Revenez demain ! », s’est-elle entendue.  

« Vous-là, que faites-vous ? », nous interpelle un homme en blouse blanche. « Ici, pour interroger un patient, il faut avoir la permission du directeur. Vous l’avez eu ? Alors pourquoi interrogez-vous les patientes ? », interroge-t-il. Avant même que nous ne placions un seul mot, il nous intimide l’ordre de sortir de ce lieu. Chose que nous faisons sans nous faire prier. Direction l’hôpital Houphouët Boigny d’Abobo-Avocatier. Dans ce centre, nous sommes vite repérés par un vigile. « On ne prend pas photo ici ! », nous dit-il avant d’ajouter que « vous devez aller voir le directeur d’abord. ». Nous nous dirigeons vers les bureaux du directeur. Dans les locaux du patron de l’hôpital, on nous fait attendre parce qu’il n’est pas là. Dans cette longue attente, ma collègue décide de faire un tour. Histoire de discuter avec certaines patientes incognito. Dans sa causerie avec certaines patientes, il ressort que pour la gratuité de l’accouchement normal et les complications liées à l’accouchement ou la gratuité de la césarienne, il faut toujours débourser de l’argent. Vrai ou faux ? En tout cas pour le directeur de cet hôpital, tout se passe bien. Les cinq (05) premières consultations et la première échographie sont gratuites pour la femme enceinte. Sauf que dans les paquets d’intervention ou de services offerts, il n’a nul pas été mentionné que pour la femme enceinte il y a un chiffre précis lié à la gratuité. D’ailleurs, la ministre de la santé d’alors, Thérèse N’dri Yoman a mis un point d’honneur « au respect strict des dispositions pratiques de mise en œuvre de la gratuité ciblée » en appelant les pratiquants de santé à « leur sens de responsabilité pour le bonheur des ivoiriens ».

Pour tout, les populations attendent la mise en œuvre pratique de cette gratuité ciblée surtout pour les femmes et leurs enfants.

Doriane Tiémoko et Marylise Beugré (Stagiaires)

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